Rachmaninov : Concerto pour piano et orchestre n°1 en fa dièse mineur op 1 (Pletnev /Slobodeniouk)

Mikhaïl Pletnev interprète le Concerto pour piano et orchestre n°1 en fa dièse mineur op 1 de Rachmaninov avec l’OP sous la direction de Dima Slobodeniouk. Extrait du concert enregistré le 26 septembre 2024 à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique à Paris. #rachmaninov #piano #pletnev #concerto Durant l’été 1890, dix années avant Les Trois Soeurs de Tchekhov, l’adolescent de dix-sept ans Sergueï Rachmaninov, séjournant à Ivanovka, dans la datcha de sa tante paternelle Barbara Satina, reçut la visite de Natalia, Ludmila et Vera, les trois filles du général de cavalerie Dimitri Skalon. Si l’aînée, Natalia Skalon, devint une correspondante régulière de Rachmaninov, grâce à laquelle nous possédons de précieux renseignements sur sa vie et son œuvre, la benjamine Vera, alors âgée de quinze ans, vécut une passion réciproque avec celui qu’on appelait « Sérioja ». Étrangement, mais sans méchanceté, ce dernier lui donna le surnom de « petite psychopathe ». Surpris par la mère de Vera lors d’un quatre mains au piano devenu trop intime, « Sérioja » fut sommé d’éviter tout contact avec la « petite psychopathe », fût-ce de manière épistolaire. La grande sœur Natalia fut alors l’intermédiaire complice de leurs échanges. Une merveilleuse photographie de 1897 nous montre, sur la terrasse de cette datcha, le compositeur vêtu d’une longue chemise blanche, attablé avec les trois sœurs Skalon, toutes trois coiffées de fort élégants chapeaux, et qu’il contemple, sous un képi de travers, d’un regard sombre et tourmenté. C’est pour elles qu’il écrivit une Romance pour piano à six mains, dont les premières notes seront reprises dans le Concerto n°2. Au moment de son mariage, Vera décida de brûler toutes les lettres de Rachmaninov, et nous en sommes réduits aux conjectures sur leur contenu. Sergueï Vassilievitch se mariera lui aussi, mais avec sa cousine germaine Natalia Alexandrovna Satina, née en 1877, elle aussi présente lors de ces séjours estivaux à Ivanovka... C’est dans cette atmosphère intense que naquit, entre mars et juillet 1891, son Concerto pour piano n°1 en fa dièse mineur, reprenant l’architecture et nombre de caractéristiques du Concerto de Grieg qu’il jouera toujours avec plaisir, et que son cousin Siloti travaillait alors dans la datcha. « J’ai finalement achevé le 6 juillet la composition et l’orchestration de mon concerto. J’aurais pu terminer plus tôt, mais j’ai vagabondé longtemps après le premier mouvement et je n’ai commencé les mouvements suivants que le 3 juillet. Donc, composition et orchestration des deux derniers mouvements en deux jours et demi. Tu peux t’imaginer le travail que cela représente. Je composais de cinq heures du matin à huit heures du soir ; par conséquent, après avoir achevé le morceau, je me suis trouvé très épuisé. » Cette lettre de Rachmaninov témoigne de la gestation fulgurante d’une partition que ses amateurs surnomment affectueusement « Rach 1 », premier de ses quatre concertos (sans compter les esquisses de 1889 d’un concerto en do mineur abandonné). Le 17 mars 1892, au moment de la composition de son célèbre Prélude en do dièse mineur opus 3 n°2 et de son opéra Aleko, Rachmaninov créa lui-même au piano le premier mouvement de ce Concerto n°1, avec l’Orchestre du Conservatoire de Moscou sous la conduite de son directeur Vassili Safonov. Dédiée à Siloti qui la jouera à quelques reprises, l’œuvre fut rapidement rangée dans un tiroir. C’est après le succès phénoménal de « Rach 2 » et de « Rach 3 » que son auteur décida de reprendre « Rach 1 » en 1917, faisant de cette « composition immature, une œuvre spirituelle ». Alfred Swan, musicologue russe en exil, recueillit en 1931 ces propos de Rachmaninov, qu’il révéla en 1944, au lendemain de la mort du compositeur, dans un article du journal The Musical Quarterly : « Lorsque je regarde mes premières œuvres, je me rends compte de leur superficialité. J’ai réécrit mon Premier Concerto ; il est maintenant correct. Toute la fraîcheur de la jeunesse s’y trouve, et maintenant il se joue plus facilement. Personne n’y prête attention. Cependant, quand je dis en Amérique que je vais jouer le Premier Concerto, ils ne protestent pas, mais je peux voir à leurs têtes qu’ils préféreraient le Deuxième ou le Troisième. » Une introduction tonitruante en octaves, soutenue par les cuivres, place d’emblée ce « Rach 1 » dans l’archétype du pianisme virtuose romantique alla Schumann, Grieg ou Tchaïkovsky. Bien connu autrefois des téléspectateurs de l’émission Apostrophes de Bernard Pivot, le premier thème exposé aux 6 cordes et repris par le piano donne un premier exemple d’un lyrisme chatoyant caractéristique de Rachmaninov. Après ce vaste premier mouvement Vivace, le compositeur fait dialoguer les cordes frottées avec les cordes frappées du piano, dans un Andante en ré majeur qualifié de « cantabile » (chantant) dans la version de 1891, et souvent présenté comme un nocturne. La pyrotechnie digitale du final Allegro viva...
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